mercredi 1 août 2012

Vie et mort de Monsieur Trololo


Un Eduard Khil très, très heureux de sa seconde chance
 



Ce message a été révisé pour la première fois le 30 août 2012.
 

Il était une fois un vieux Russe tranquille, ex-superstar de la chanson soviétique et pauvre «has been» complètement oublié depuis plus vingt ans, qui devint célèbre sur toute la planète grâce à une vidéo à la ringardise hilarante qu'il avait tournée presque trente-cinq ans plus tôt.  La gloire et la fortune réapparurent alors comme par magie dans la vie d'Eduard Khil, rebaptisé «monsieur Trololo» par les nouveaux fans qui l'avaient découvert sur YouTube. Ce crooner de 75 ans, qui pouvait jusque-là s'estimer heureux quand il chantait dans un hospice de vieillards pour un cachet dérisoire, se voyait tout à coup offrir des sommes fabuleuses pour des minispectacles dans des boîtes de nuit branchées! Il recevait même des propositions pour une tournée mondiale! Par ailleurs, la télévision russe, qui l'avait depuis longtemps relégué aux oubliettes, le réclamait à grands cris pour des interviews et des émissions spéciales en son honneur.
 
Monsieur Trololo, un vieillard enjoué mais un peu simplet, remercia avec une effusion touchante ses nouveaux fans devant les caméras de télévision. Il était si naïf qu'il ne comprenait même pas qu'il était devenu une sorte de phénomène de foire! Sa candeur et son sourire radieux, bien plus que son talent musical, firent de lui l'idole des internautes du monde entier. Le «Trololoman» semait la bonne humeur autour de lui, il était devenu le plus gentil grand-papa de l'Internet, un «rayon de soleil sur deux jambes».
 
L'histoire ci-dessus est si jolie que j'aurais voulu la croire sans aucune réserve... N'y parvenant pas malgré toute la bonne volonté de «l'enfant en moi», j'ai voulu connaître l'homme qui se cachait derrière le personnage caricatural de «monsieur Trololo».
 
Ce faisant, j'ai découvert un grand artiste qui avait été le chouchou des meilleurs auteurs soviétiques de chansons populaires des années '60 et '70. Eduard Khil a enregistré des centaines de chansons dont plusieurs sont devenues des classiques de la musique populaire russe. Pendant deux décennies, il a été une superstar qui devait se débattre dans des nuées de femmes hystériques après ses concerts, il a reçu les plus grands honneurs de son gouvernement, il a chanté dans 80 pays... La cinquantaine et la perestroïka l'ont fait passé un peu de mode. Même s'il a continué à donner des concerts et à faire des apparitions sporadiques à la télévision, sa carrière sur disque s'est interrompue en 1986 pour ne reprendre que bien des années plus tard, et ce, de façon plus que modeste.
 
L'homme, lui, reste pour la plus grande partie un mystère. Toujours sympathique et enjoué avec les journalistes, Eduard Khil protégeait farouchement sa vie privée. Contrairement aux vedettes américaines qui font de leur vie un livre ouvert, ce vieux Soviétique avait appris que garder ses secrets était une condition sine qua non dans sa vie privée et professionnelle, une question de survie! Du reste, excellent conteur, il servait toujours les mêmes histoires hautes en couleurs aux reporters.
 
D'une grande classe, il a toujours refusé de laver son linge sale en public. Aucun ragot malsain sur un autre artiste n'a jamais souillé ses lèvres lors d'une interview. Il ne parlait que des gens qu'il aimait.
 
Certes, il ne se privait pas de critiquer le monde du spectacle de l'époque soviétique (son répertoire et son image publique étaient alors sous le contrôle d'un ministère de la culture qui avait en horreur toute trace d'originalité) et le show business moderne (qui fait la part belle aux petites amies des oligarques, des idiotes sans voix et sans talent, et qui ignore les vieux chanteurs avec une vraie voix, même les plus grands). «De nos jours, c'est le fric qui vous fait passer à la télévision, pas le talent,» déplorait-t-il en 2004. (À compter de mars 2010, il aurait pu ajouter qu'un gag sur Internet ne manquait pas non plus d'efficacité pour passer à la télé!)

Pour sa part, son fils unique, Dmitri Khil, a le souci, depuis la mort de son père, de peindre de lui un portrait honnête et de rétablir la vérité sur les faits les plus déformés par la presse sensationnaliste de son pays. 

Tous les témoignages que j'ai lus, sauf deux, le décrivent comme un homme le plus souvent souriant, très simple et très généreux, presque un saint. Ami dévoué, mari fidèle, père de famille exemplaire, chrétien dévôt... Eduard Khil n'avait aucun défaut!

Un mystère, je vous dis.

Eduard Khil avant «Monsieur Trololo»...

Loin d'être indigent, Eduard Khil n'était pas non plus très riche. Il ne recevait qu'une pension très modeste qui l'obligeait à travailler pour arrondir ses fins de mois.
 
Il partageait avec sa femme, son fils et son petit-fils, un immense appartement, rempli de souvenirs ramenés de ses voyages et d'instruments de musique (dont trois pianos), dans la Maison Tolstoï. Cet immeuble, l'une des adresses les plus prestigieuses de Saint-Pétersbourg, est sous la protection de l'UNESCO et surplombe la Fontanka. Il possédait aussi une datcha avec une serre et un grand jardin. 

Les questions d'argent l'inquiétaient beaucoup et, sans être avare, il vivait plutôt modestement. La Russie est un pays fragile économiquement et le métier d'artiste, sauf pour les superstars multimillionnaires, est le plus souvent synonyme de précarité. À 70 ans passés, il avait de très bonnes raisons de penser que ses plus grands succès se trouvaient désormais loin derrière lui. Et si une maladie l'avait empêché de travailler, il aurait été obligé de renoncer à son appartement et à sa datcha bien-aimés.
 
Malgré des apparences très rares à la télévision et une couverture médiatique à peu près nulle (sauf en 2004 et en 2009, à l'occasion de ses 70e et 75e anniversaires), Eduard Khil demeurait un chanteur très actif et très apprécié du public. Il se produisait certes sur des scènes parfois très modestes (quand il y avait une scène, ce qui n'était pas toujours le cas), mais il travaillait régulièrement et souvent. Son téléphone sonnait plusieurs fois par jour. Offres d'emploi, invitations à des cérémonies de remise de récompense ou à des galas d'anniversaire pour des collègues et amis... Car des amis, Eduard Khil en comptait beaucoup. C'était l'un des hommes les plus aimés du show-business russe.
 
En 2oo8, six compilations, chacune sur un thème différent, de ses chansons ont paru sur CD. Il y a eu aussi plusieurs compilations de ses plus grands succès.
 
En septembre 2009, à l'occasion de son 75e anniversaire, le président Medvedev l'a décoré de l'Ordre du mérite de la patrie, 4e classe. L'événement a été télévisé. Un documentaire d'une heure est aussi présenté à la télévision.
 
File:Eduard Khil.jpg


Assez souvent, il se produisait au sein du trio qu'il formait avec son fils Dimitri et son petit-fils Eduard, «Khil et fils». Les deux Eduard avaient même chanté en duo lors d'un gala à la télévision russe, en 2007. Eduard I avait alors 73 ans et Eduard II dix ans.



 
Eduard Khil restait un professionnel accompli même dans les endroits les plus humbles et devant les publics les plus tièdes et les moins respectueux. Il gardait le sourire là où d’autres artistes auraient pleuré et il chantait avec autant d’enthousiasme qu’il l’avait fait sur les scènes de quatre-vingts pays, alors qu’il était en pleine gloire, et ce, même quand on parlait et mangeait pendant son spectacle.

Ci-dessous, un exemple malheureux qui date de novembre 2011. On entend distinctement des bruits de voix pendant sa prestation. L'interprétation remplie d'émotion d'Eduard Khil est comme une perle jetée aux cochons...




Très sociable et très actif, Eduard Khil avait une existence très bien remplie. Il jouissait d'une excellente santé et il adorait la vie.
 
Tous les ans, dès l’arrivée du printemps, Eduard Khil et sa femme se rendaient à leur datcha. Comme la nourriture coûtait cher et qu'ils aimaient beaucoup le jardinage, ils cultivaient eux-mêmes leur grand potager sans utiliser de produits chimiques. Ils faisaient aussi pousser des fleurs.

Ses loisirs? La musique, bien sûr, la meilleure consolation pour tous les chagrins (il peut passer des heures à réécrire des partitions musicales). Le dessin et la peinture. La cuisine. Le jardinage et le bricolage. La lecture (il vouait un culte à Pouchkine) et les conversations intellectuelles. Le cinéma (il avait adoré le classique russe Soleil trompeur et Unglorious Basterds de Tarantino). Les visites dans les musées et les longues promenades dans Saint-Pétersbourg, «la plus belle ville de monde, plus belle encore que Paris».

D’une piété profonde (ce qui ne l'avait pas empêché de participer à un opéra rock trash et à thème sado-masochiste où il était revêtu d'une sorte de combinaison en papier alu et coiffé d'un déboucheur de toilettes), il affirmait que le monde serait bien meilleur et les gens bien plus heureux si les Russes suivaient les préceptes de la religion orthodoxe. Il avait fait don de vitraux à l'église de Saint-Pétersbourg qu'il fréquentait assidûment et où il enseignait l'école du dimanche.
 

Lors d'un concert bénéfice pour son église...
 
 
«Monsieur Trololo»...
 
 
 
 
Eduard Khil s'addressant à ses nouveaux fans, en mars 2010.
 
Lorsque la vague « Trololo » déferle dans sa vie en mars 2010, Eduard Khil, même s'il est plutôt vexé d'être devenu une sorte de phénomène de foire (il aurait demandé à son fils: «Est-ce que ça veut dire que tout le monde se moque de moi?»), accepte cette seconde chance inespérée que lui offre la Providence avec un mélange de bonne humeur et de pragmatisme. Car il est bien décidé à tirer tout le profit possible de cette gloire, probablement éphémère, afin d'assurer son avenir et celui des membres de sa famille. 
 
Il se met immédiatement en quête d'un bon imprésario afin d'organiser une série de concerts.
 
Néanmoins, quand il ne sourit pas pour montrer qu’il rit avec ses nouveaux «admirateurs» et qu’il est ravi de ce retour à l’avant-scène du show-business, ses grands yeux bleus se remplissent d’une ironie désabusée et un peu triste. En réalité, il n’a aucune illusion sur ce regain de popularité et l’artiste en lui est déçu qu’on l’acclame plus à cause d’un gag que pour son talent et sa voix, cette voix, certes changée et affaiblie par le temps, mais qui est encore si belle... une voix encore digne des plus grandes scènes du monde.
Un peu songeur entre deux sourires lors d'un hommage à la télévision en 2011,
à l'occasion de son 78e anniversaire.
 




Pour faire plaisir à ses nouveaux fans, il joue le rôle du bon grand-papa un peu simplet qui est si enchanté par sa nouvelle célébrité mondiale qu'il veut que désormais on l'appelle monsieur Trololo ou Trololoman plutôt qu'Eduard Khil. Toutefois, quand il laisse met de côté ce personnage assez loufoque, il laisse paraître un homme très sensible, à l'intelligence aiguë de vieux routier qui en a vu bien d'autres pendant son enfance sous l'occupation allemande et pendant une très longue carrière toute en... montagnes russes.
 


La sagesse et la sagacité du vieil homme qui n'a rien oublié...Lors d'un tournage à sa datcha, en 2010
Grâce au succès mondial de Trololo, ses compatriotes s’intéressent de nouveau à lui et des émissions spéciales rendent hommage à « monsieur Trololo ». Il chante dans des boîtes de nuit où il est accueilli avec enthousiasme par un jeune public qui connaît tous ses vieux tubes.


Eduard Khil et Zoya dans leur appartement, en 2009

L'apothéose de cette seconde gloire est le récital de 50 minutes qu'il a tourné pour la télévision, en décembre 2011, dans une grande salle de concert et avec un orchestre d'une douzaine de musiciens.

La renaissance de la carrière d'Eduard Khil n'aura duré qu'un peu plus de deux ans. Cet homme de 78 ans, qui a l'énergie et la bonne humeur d'un individu de vingt ans de moins, cette force de la nature qui a survécu à tant d'épreuves depuis son enfance et qui a atteint les sommets de son art à force de travail acharné, a un talon d'Achille: l'hypertension artérielle. Comme celle-ci ne lui cause guère d'inconvénients et qu'il se sent en pleine forme, il décide, malgré les objurgations de son épouse et de son fils, de cesser de prendre le médicament qu'on lui a prescrit trois ans plus tôt.

Amant de la nature et fervent de la culture biologique, Eduard Khil a les produits chimiques en horreur et il se méfie des médecins qui ne songent qu'à prescrire des montagnes de médicaments, le plus souvent complètement inutiles, aux personnes âgées.

Sa hantise est de devenir un vieillard qui fait pitié. Il veut rester «Monsieur Sourire» pour son public, le chanteur à la joie de vivre contagieuse et à la voix encore admirable, l'homme  aux yeux pétillants qui affronte les hauts et les bas de l'existence avec un humour et une dignité qui ne peuvent que toucher les gens et, peut-être, les aider un peu à vivre.*

La dernière chanson filmée, en avril 2012, quelques jours à peine avant son AVC.Eduard Khil est resté un grand artiste jusqu'à la fin.
 
Le 8 avril 2012, trois jours avant son départ pour un spectacle à Baden-Baden, c’est la catastrophe. Un AVC laisse Eduard Khil très diminué, avec de graves séquelles au cerveau.
 
(Alors qu'il était dans le coma, une infirmière lui aurait fredonné l'une de ses chansons à l'oreille. Sans ouvrir les yeux, il aurait l'aurait accompagnée d'une voix très faible, à la stupéfaction du personnel présent.)
 
Après un mois et demi de soins intensifs, il s’éteint dans la nuit du 3 au 4 juin 2012, à l'âge de 78 ans.

Les journaux et les télévisions du monde entier annoncent son décès et «tout l’internet est en deuil» de «Monsieur Trololo».

Les vrais admirateurs d'Eduard Khil, eux, se massent par centaines sur le boulevard de Saint-Pétersbourg où passe le cortège funèbre afin de lui rendre un dernier hommage. Des applaudissements l'accompagnent jusqu'à l'église... 




Une croix serait apparue dans le ciel pendant son enterrement.
Un point final extraordinaire à un passage sur terre vraiment hors du commun.
 
Adieu, Eduard Anatolievitch! On vous a tant aimé…
Eduard Khil chante Le ciel et toi:


Note*: un gros zéro à l'imbécile vénal qui l'a photographié sur son lit d'hôpital alors qu'il était inconscient et branché à un respirateur et au magazine qui a publié cette photo. C'est un viol de la vie privée et de la dignité d'un homme qui n'était plus en état de se défendre.

mardi 19 juin 2012

Eduard Khil, superstar soviétique des années '70




Eduard Khil en 1977

Les textes de ce blogue ne sont pas dans leur forme définitive. Des corrections et des ajouts y seront apportés au cours des prochains mois.


Dernière mise à jour: le 18 juillet 2012.


J'adore ces plaisirs très démodés des années '70... Ce qui nous semble d'une ringardise sublime aujourd'hui faisait à cette époque palpiter bien des coeurs soviétiques... Moi-même, si, à l'aube de mon adolescence, j'avais habité à Léningrad plutôt qu'à Montréal, j'aurais sans doute été follement amoureuse d'Eduard Khil (1934*-2012), le prince charmant de la chanson des mornes années Brejnev.


C'est sans ironie aucune que j'affirme qu'Eduard Khil, qui avait reçu une formation de chanteur classique au Conservatoire de Léningrad**, était un artiste de variétés hors pair.


D'abord et avant tout il y avait la voix, exceptionnelle et toujours parfaitement maîtrisée sans perdre pour autant sa chaleur et son pouvoir de susciter mille images, mille émotions dans l'imagination et le coeur des auditeurs, même de ceux qui ne comprenaient pas un mot de russe.


Seuls les plus grands interprètes de la musique classique ou moderne possèdent ce don par lequel une chanson peut toucher tous les coeurs, peu importe la langue ou la nationalité de ceux qui l'écoutent.

Aussi bon comédien que chanteur, ce Russe passionné et généreux exprimait presque autant de choses par ses gestes et ses yeux que par sa voix.

 
Son talent et son charisme s'accompagnaient d'une élégance naturelle et d'un physique très agréable. Il avait un visage à la fois bienveillant et sensuel, d'un grand charme et plutôt beau.

Dandy sans prétention, il était séduisant même revêtu de complets beige ou marron.

Et en plus, il pouvait danser!

 
Ce n'est pour pour rien que plusieurs grands compositeurs et paroliers russes ont écrit autant de chansons magnifiques pour lui. Ils pouvaient toujours compter sur Eduard Khil pour les rendre très populaires.
 
Ci-dessous, il chante l'une de ses plus belles chansons dans un décor très moderne qui représente le centre-ville de Moscou la nuit:

Eduard Khil a chanté beaucoup de chansons sur la deuxième guerre mondiale et la glorieuse Armée rouge, dont ce très grand succès:

Son sex-appeal tout soviétique était alors à son apogée. (Eduard Khil avait même été obligé d'engager des gardes du corps pour protéger sa épouse, Zoya, qui l'accompagnait partout en tant que directrice artistique et chorégraphe de ses spectacles. Des femmes, rendues complètement folles par leur passion pour le bel Eduard Anatolievitch, avaient menacé de tuer Mme Khil ou de la défigurer avec de l'acide! L'une d'elles avait même tiré sur la pauvre Zoya...)

Il paraît que des admiratrices se bousculaient pour toucher la tache, vestige d'une brûlure, qu'Eduard avait sur le nez!***

La vidéo ci-dessous nous montre Eduard avec la gaieté contagieuse dont, paraît-il, raffolaient les Soviétiques... Quand il chantait une chanson légère, son bonheur était si grand que son visage s'illuminait comme un sapin de Noël. 


La vidéo ci-dessous est probablement la plus jolie qu'il ait jamais tournée. Dommage qu'elle soit en noir et blanc. Il chante l'un de ses plus grands succès, Hiver, élue chanson de l'année deux années de suite, en 1971 et 1972.



À 14 ans, aussi snob que stupidement romantique, j'aurais renié Eduard à jamais à cause de cette chanson: Les lâches ne jouent pas au hockey, possiblement la plus stupide qu'il ait jamais chantée. J'ose espérer que c'est le gouvernement soviétique qui l'a forcé à l'ajouter à son répertoire. Bon joueur, Eduard met plus d'énergie dans son interprétation et sa gestuelle qu'un attaquant en pleine finale de Coupe du monde:


Une ou deux années plus tôt, j'aurais eu de la peine à lui pardonner son fameux Vocalese, plus connu sous le titre Je suis si heureux d'être de retour à la maison (qui devait plus de 30 ans plus tard devenir le phénoménal mème «Trololo»). C'était certes un grand exploit vocal de la part d'Eduard, mais j'aurais été trop stupide pour l'apprécier à sa juste valeur.

La fameuse vidéo aurait été tournée en Suède en 1976. 

Interrogé à propos de la vidéo, en septembre 2011, Eduard Khil a avoué qu'il ne se souvenait plus du tournage, mais il a reconnu le costume. C'est une immigré russe, vendeuse dans une mercerie, qui lui en avait cadeau. Il a affirmé qu'il aimait l'aspect visuel de la vidéo et qu'il ne comprenait pas pourquoi elle avait déclenché des millions de crises d'hilarité à travers la planète.


Dans cette vidéo, Eduard Khil a possiblement livré la performance la plus étrange de sa carrière. Il semble jouer de façon humoristique un brave bûcheron qui revient chez lui après tout un hiver passé au plus profond de la forêt, mais un bûcheron maquillé, coiffé et vêtu comme une sorte de métrosexuel soviétique. Combinés aux fards trop épais, son sourire béat et ses yeux écarquillés rendent sa physionomie bien bizarre. Est-ce un être humain ou un prince charmant de Walt Disney qui a plaqué la princesse pour devenir bûcheron?

Franchement, cette vidéo avait tout pour devenir un classique sur YouTube: une mélodie entraînante, une performance vocale extraordinaire, un look, une physionomie et une gestuelle un peu... décalées, et un décor super kitsch. Au moins, grâce à Trololo, Eduard Khil est devenu une vedette mondiale au tournant de ses 75 ans et il a conquis une nouvelle génération de fans en Russie.



Trololo, 34 ans plus tard. Chapeau, monsieur Khil!


Et, pour les vrais fans de Trololo, voici Eduard Khil qui la chante live en 1968.


Dire que le même jour que Trololo, il a tourné un clip de cette chanson, l'une de mes préférées, l'envoûtante Pierre de lune


Pauvre Eduard Anatolievitch... Avec la quantité de rouge à lèvres que la maquilleuse avait tartiné sur sa bouche, on aurait pu peinturer toute une flotte de camions de pompiers!
 
En 1981, un Eduard Khil très enjoué chantait 2x2=4 dans une émission pour enfants. Il aimait signer des autographes avec le même dessin que sur le tableau.


 
Aurais-je eu plus de goût pour les maths à l'école si j'avais eu un prof aussi mignon et sympathique? Mmm... Je crois que les chiffres se seraient encore plus embrouillés dans ma pauvre petite tête!

À 16 ans, je crois que j'aurais volontiers poireauté avec Eduard à l'aéroport même s'il avait commencé à avoir l'apparence d'un homme d'âge mûr. Il avait à l'époque environ 48 ans. 


Et puis, au cours des années suivantes, j'aurais aimé de la musique plus «cool» et fait tout mon possible pour oublier Eduard Khil et mon béguin ridicule pour lui... Jusqu'à mes 40 ans, l'évocation de son nom m'aurait fait rougir de honte. Et, un jour, j'aurais revu la vidéo de Pierre de lune ou une autre des années soixante-dix où il était jeune et beau, et j'aurais de nouveau craqué. Nostalgie oblige.


J'aurais acheté une ou deux compilations de ses plus grands succès et je m'en serais voulu un peu de ne pas les avoir écoutés depuis si longtemps. Sa voix et ses chansons sont si belles qu'il avait été complètement idiot de m'en priver.

La métamorphose du prince charmant soviétique en sémillant grand-père m'aurait fait de la peine, car cela m'aurait rappelé que je ne rajeunissais pas moi non plus. Mais, en 2010, je me serais réjouie de son retour à l'avant-scène, avec cette joie de vivre et cette voix qui avaient toutes les deux résisté comme par miracle aux années et aux chagrins.
 
À sa mort, en juin 2012, je serais moi aussi morte un peu dans mon coeur et j'aurais enterré pour de bon la fillette de 12 ans naïve, romantique, passionnée, snob et si exigeante envers son idole, et dont il m'était arrivée parfois de sentir la présence fantomatique dans une vie d'adulte trop terre-à-terre.
Oublions les décors ringards, les habits parfois peu seyants, le maquillage souvent outrancier et les coupes de cheveux désastreuses... La seule chose qui comptait vraiment, c'était la voix d'Eduard Khil qui s'élevait le plus souvent à une hauteur infinie au-dessus de l'aspect visuel plus ou moins réussis de ses passages à la télévision.
 
Je regrette de n'avoir jamais entendu parler d'Eduard Khil avant son décès. Mais après avoir écouté une quarantaine de ses chansons sur YouTube, je l'ai ajouté au groupe très sélect des rois et des reines de mon iPod: Marc Almond, Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Mabel Mercer, Jacques Brel, Henri Salvador, Patricia Barber, Barbra Streisand, Leonard Cohen, etc.

Et je suis comblée de bonheur à l'idée qu'il me reste au moins 200 vidéos à regarder sur YouTube.

Pour en apprendre plus sur Eduard Khil:
Un site de fan reconnu par la famille Khil, en russe.

Note*: Selon ses propres dires, Eduard Khil serait né en 1933 plutôt qu'en 1934 . Une erreur administrative après la guerre l'aurait rajeuni d'un an pour l'état civil.
Note**: Eduard Khil n'a jamais abandonné la musique classique. Il a enregistré et chanté sur scène de nombreux airs d'opéra ou d'opérette, dont les vingt lieds de La belle meunière, de Schubert (traduits en russe).
Note***: Pour avoir eu moi-même un contact physique privilégié avec mon chanteur préféré (un Américain) quand j'avais 15 ans, je peux affirmer que l'expérience de groupie est largement surestimée.

Forum de Montréal, en décembre 1981: ma mère et moi sommes arrivées une heure avant le spectacle et comme la température est très douce, nous décidons de faire le tour de l'immeuble avant d'entrer dans la salle. Au fond, nous espérons apercevoir l'idole à son arrivée au Forum.

Une porte latérale s'ouvre brusquement, je suis bousculée et je manque de tomber. Une voiture, une simple Ford, s'arrête et le butor qui m'a presque fait tomber et qui ne s'est pas excusé, monte dedans à toute vitesse. J'ai à peine le temps d'apercevoir une chevelure jaune canari avant que l'auto ne démarre en trombe. 

Très déçue par mon idole, je ronge mon frein pendant tout le spectacle que je trouve pourri.




On dirait une publicité pour le super fixatif à cheveux radioactif  disponible seulement en Union Soviétique... Cette laque blindée vous protégeait contre les missiles américains et résistait aux ouragans et aux cyclones. Par ailleurs, un homme qui se montrait avec des cheveux hirsutes en public gagnait un voyage en allée simple pour la Sibérie.


Eduard Khil dans les années '60

[à venir]

Les adieux d'une grand voix

Ci-dessous, trois extraits du dernier concert télévisé d'Eduard Khil, le 24 décembre 2011.


Chrysanthème
Romance




Le temps de l'amour


Une vidéo un peu moins récente, mais la chanson est magnifique:


Eduard Khil et la chorale de l'église qu'il fréquentait assidûment à Saint-Pétersbourg, en janvier 2011. Parmi toutes les vidéos que j'ai vues jusqu'ici d'Eduard Khil, c'est ma préférée même si je ne suis pas pieuse pour deux sous.




Les adieux d'Eduard Khil à la chanson, en avril 2012, peu de temps avant son AVC. Il est resté un grand artiste jusqu'à la fin...



Duos

Avec Ludmila Senchina, Eduard interprète la chanson de l'année, en 1979 (le pauvre Eduard avait dû être maquillé par Muriel Milardova, spécialiste soviétique des portraits de clowns, ce soir-là. Il fait presque peur!)



Avec son petit-fils, également prénommé Eduard, en 2007.



Romantique

Une seule fois (2e position au Festival de la chanson de Sopot, en 1965. La chanson gagnante? Mon pays, un classique québécois interprété par la grande Monique Leyrac. 


Un Eduard Khil un peu fade et sa jolie petite chanson d'amour ont été balayés par l'«ouragan Monique Leyrac». Quelle performance... J'en ai des frissons à chaque fois que je l'écoute, et pourtant je n'aime pas tellement Mon pays, que j'ai trop souvent entendue.






Pensez-vous que le coeur serait oublié?

Ah! Se faire chanter la ritournelle par Eduard dans sa datcha...

En passant, Eduard a été marié à la même femme, Zoé (ou Zoya), une ancienne ballerine, pendant 54 ans. Ils ont eu un fils, Dmitri, en 1963.

La pauvre Zoé a été dans la ligne de mire d'une femme obsédée par Eduard. Je crois avoir compris que Zoé, alors passagère d'une voiture, avait été légèrement blessée par l'une des deux balles tirées.

Je vais faire un peu de morale: Mesdames, votre chanteur préféré ne vous doit rien d'autre que la bonne performance sur scène ou sur disque pour laquelle vous avez payé. Qu'il vous fasse rêver, c'est très bien, mais les rêves doivent rester les rêves. Votre idole a autant le droit à une vie privée où vous n'avez aucune place que votre dentiste ou votre coiffeur. Le fait que vous soyez obsédées par lui ne vous donne aucun droit sur lui. Si votre obsession devient pathologique, demandez de l'aide avant de faire une connerie.

Ci-dessous, Zoya et Eduard Khil au tournant des années 1980. Ils étaient déjà mariés depuis plus de vingt ans.




Moscou

L'un de ses premiers succès:


Une version qui date de 1980: